Alors que 83% des familles se déclarent aujourd’hui plus attentives à l’impact de leurs achats qu’il y a 5 ans, la consommation dîte « responsable » se heurte encore à d’importants obstacles pratiques et économiques. Comment les marques peuvent-elles répondre à cette ambivalence entre désir d’engagement et contraintes du quotidien ?
La responsabilité, une préoccupation désormais majoritaire mais sous contraintes
Les résultats du Baromètre Famille 2025 sont formels : la consommation responsable s’est imposée comme une norme auprès des familles françaises. 83% des répondants affirment être plus attentifs à l’impact de leurs achats qu’il y a 5 ans, dont 36% « beaucoup plus ». Mais cette vigilance accrue semble autant dictée par les circonstances économiques que par une véritable conscience écologique : 50% des familles déclarent consommer de manière « à la fois plus consciente et plus contrainte ».
Ce double moteur de changement s’observe également dans les préoccupations principales lors des achats : si 26% des familles citent la santé et 17% la durée de vie des produits, le prix reste la préoccupation dominante pour 28% des répondants. Cette tension entre idéal et réalité se traduit par des pratiques concrètes : l’achat de seconde main, la réduction de la consommation et les circuits courts constituent les trois principaux comportements adoptés.
Ces observations confirment l’émergence d’un nouveau paradigme où réduction, réutilisation et proximité s’imposent comme les piliers d’une consommation plus raisonnée, mais toujours sous la pression économique.
Transparence et impact environnemental : ce que les familles attendent véritablement des marques
Face aux marques, les familles oscillent entre méfiance et exigence. Le niveau moyen de confiance est modéré (5,9/10), révélant un scepticisme latent quant à la sincérité des engagements affichés. Cette défiance se manifeste particulièrement lorsqu’il s’agit d’identifier des « marques responsables » : un nombre significatif de répondants indique ne pas en connaître ou doute de leur existence.
De façon révélatrice, les marques considérées comme exemplaires sont principalement des acteurs spécialisés dans le bio et l’écologie (Patagonia, Bjorg, L’Arbre Vert), tandis que les « mauvais élèves » identifiés appartiennent massivement à la fast fashion (Shein, Zara) et à l’agroalimentaire industriel (Nutella, Nestlé). Cette polarisation révèle une vision binaire où le positionnement initial de la marque pèse davantage que ses initiatives ponctuelles.
Pour gagner en crédibilité, les marques doivent prioritairement agir sur deux leviers identifiés comme fondamentaux par les consommateurs dans tous les secteurs : l’impact environnemental et social des produits (cité par 65 à 76% des répondants selon les secteurs) et la transparence sur les pratiques et la chaîne d’approvisionnement (51 à 71%). Plus précisément, 61% des familles attendent « plus de transparence sur la composition et l’origine des produits » et 51% souhaitent « des engagements concrets pour réduire l’impact négatif ».
Cette attente de transparence se décline différemment selon les secteurs : origine française et composition simplifiée pour l’alimentaire, ingrédients naturels et recharges pour l’hygiène, conditions de production éthiques pour le textile, ou lutte contre l’obsolescence programmée pour la technologie.
Le prix et l’éducation : les deux défis spécifiques des familles
Le prix apparaît comme l’obstacle massif à l’adoption de pratiques plus responsables, cité par 86% des répondants. Cette barrière économique est particulièrement sensible dans le contexte familial, où les volumes d’achat sont plus importants et les budgets souvent contraints. L’équation est claire : 82% des familles indiquent qu’une baisse des prix les inciterait à acheter davantage de produits responsables.
Mais au-delà de cette contrainte budgétaire largement partagée, les familles font face à un défi éducatif spécifique : comment transmettre des valeurs responsables tout en résistant à la pression marketing et sociale qui s’exerce sur les enfants ? Les témoignages évoquent fréquemment cette tension : « Les enfants se font influencer, on ne veut pas toujours dire non » ou encore « Les attentes de mes enfants ados qui se conforment aux attentes de la société ».
Cette double contrainte – économique et éducative – place les familles dans une position de dissonance cognitive où elles aspirent à consommer mieux tout en se heurtant à des obstacles pratiques et relationnels. C’est particulièrement visible dans certains secteurs comme les jouets, où 55% des familles admettent consommer des produits qui leur donnent « mauvaise conscience ».
Face à ces tensions, le marché semble encore insuffisamment adapté : seuls 42% des répondants peuvent citer des marques qu’ils consomment « avec plaisir ET bonne conscience ». Pourtant, 74% se disent prêts à abandonner des marques qui ne changeraient pas leurs pratiques, signalant une véritable attente de transformation.
Réconcilier principes et pragmatisme
« Ces résultats démontrent que nous sommes à un point d’inflexion où les familles n’attendent plus de discours mais des solutions concrètes qui respectent à la fois leurs valeurs et leurs contraintes quotidiennes. Les marques qui réussiront seront celles qui parviendront à démocratiser la consommation responsable en proposant des produits accessibles économiquement, transparents dans leur conception, et qui faciliteront l’éducation des enfants plutôt que de la compliquer. C’est un défi d’innovation autant commercial que sociétal. »
Isabelle Cussac, DG de Générations & Co